Selon une idée largement répandue, il serait impossible de nourrir toute la planète avec des produits frais et sains. Aussi faudrait-il s'accommoder de l'intensification de l'élevage et de l'agriculture, de l'usage de pesticides et de farines animales, de la
standardisation des denrées, et n'y voir que des inconvénients nécessaires à la démocratisation de l'alimentation.
Mais la nourriture bon marché a un coût - social, sanitaire, environnemental - qui conduit un nombre croissant de citoyens à
s'interroger : un autre modèle est-il possible ?
Pendant des siècles, les hommes ont dû composer avec les caprices de la terre : ils se nourrissaient, tant bien que mal, de
produits locaux dont la récolte pouvait être détruite par une intempérie ou une maladie. Mobiliser pour limiter l'impact de ces
aléas, la machine scientifique a fini par s'emballer, au point que l'industrie alimentaire semble aujourd'hui s'être affranchie du
concept même de nature. Les tomates sont produites en toute saison, l'animal est devenu une matière première et des semences
génétiquement modifiées envahissent les champs.
Dans les vergers du sud de l'Europe s'affairent des saisonniers et des immigrés clandestins ; au sein des abattoirs bretons, des "travailleurs détachés", embauchés selon les normes sociales roumaines ou polonaises, découpent le bétail ; derrière les caisses des
fast-foods, une main-d'œuvre sous payée et flexible enregistre les commandes. De la production à la distribution, le secteur de
l'alimentation constitue ainsi un poste avancé de la déréglementation du travail.
L'insécurité alimentaire se conjugue désormais au pluriel. En proie à la spéculation sur les matières premières et aux catastrophes
climatiques, les pays du Sud continuent de souffrir de la malnutrition, même si la famine y a reculé. Au Nord, c'est l'obésité, le
surpoids et leur cortège de problèmes médicaux qui frappent massivement les populations, en particulier les plus pauvres. Au
total, plus de deux milliards de personnes sont concernées par l'un ou l'autre des « fardeaux de l'alimentation ».
A l'heure où la télévision ne cesse de célébrer les plaisirs de la chère, la nourriture industrielle est devenue le lot commun de la
plupart des habitants des pays riches. Portant, en marge de l'agrobusiness et de ses engrais chimiques, des récalcitrants - vignerons, cultivateurs "bio", restaurateurs… - tentent de redonner des couleurs à l'art de la table. En produisant des denrées de
qualité à des prix accessibles, ils œuvrent à libérer la gastronomie de son carcan élitiste.
Benoit Bréville est rédacteur au Monde diplomatique et coordinateur du "Manière de voir" n°142 d'aout-septembre 2015, consacré au thème de la présente soirée. |
Ce que manger veut dire :
agriculture, hypermarchés, gastronomie, malbouffe
avec Benoit BRÉVILLE
Jeudi 12 Novembre
19h00 à 22h00 |